BIO
Né à Agen en 1979, Fabien Fourcaud passe sa jeunesse sur les hauteurs de Cannes et y entame une carrière de graphiste. En 2007 il quitte la lumière franche du sud pour s’établir dans la capitale. Il y intègre une entreprise spécialisée dans la 3D et la réalité virtuelle en tant que designer. Il trouvera dans les écrits de Gilles Deleuze une porte d’entrée vers une nouvelle conception de la représentation. Parallèlement il découvre les photographes de l’exposition New Topographics qui influenceront durablement sa pratique de la photographie. En effet Fabien Fourcaud traque sans relâche les points de bascule et les zones de trouble dans le paysage. Avec une attention particulière pour les non-lieux, il se plaît à mettre en lumière la limite ténue entre présence et absence, réel et virtuel.
A propos de « Off Season »
Si le concept de « territoire » désigne un mode de relation entre un groupe d’hommes et un espace, qu’advient-il d’un territoire lorsqu’il cesse d’être fréquenté, utilisé, pratiqué ? Une fois par an, les stations balnéaires construites exclusivement à l’attention des vacanciers se retrouvent délaissées par leurs usagers. Comment s’inscrit dans le visible cette solitude dans laquelle elles sont momentanément plongées ? Quelles transformations cet abandon des hommes opère-t-il sur les paysages et sur les objets du quotidien ? Que deviennent ces villes « -plage », que leur nom même destine à cet usage unique, lorsqu’elles ne servent plus de lieu de vacances ? Comme « en mal » de fonction, coincés dans un intervalle temporel et spatial, ces paysages et ces objets entrent dans un état de torpeur, de suspend, d’attente indifférente. Ils existent pour rien ni pour personne mais continuent malgré tout à persister dans leur être. Alors, soudain, il n’y a plus que de la matière, des formes, des couleurs, des lumières. Il n’y a plus de plage, juste un bord de mer et du sable. Il n’y a plus de poubelle, mais du métal et du plastique.
INTERVIEW
« Je commence souvent mes series un peu par hasard. Je découvre un sentier, sans trop savoir ou il peut m’amener. Et à force de l’explorer le sentier se transforme en sujet. »
Est ce un événement qui t’a amené à photographier Off Season sur la Côte d’Opal ? Un lieu que tu n’avais jamais visité auparavant?
Tout a commencé par l’envie de fuir Paris et voir la mer, au moins une fois par mois. J’ai passé mon enfance dans quelques stations balnéaires du sud est de la France, mais je n’imaginais pas à quel point la vie hors saison dans le nord pouvait être différente de celle que j’avais connu. Ce qui m’a le plus frappé c’est à quel point ces lieux m’étaient aussi familiers qu’étrangers. J’ai voulu explorer cette sensation et comprendre ce qui se cachait derriere cette mélancolie, si elle m’était procurée par ces rappels a des souvenirs d’enfance eux aussi endormis ou si c’était autre chose.
Comment as tu organisé ce projet?
Je commence souvent mes series un peu par hasard. Je découvre un sentier, sans trop savoir ou il peut m’amener. Et à force de l’explorer le sentier se transforme en sujet. J’ai totalement autofinancé le projet. Quelques week ends pour commencer, puis deux fois une semaine à Berck et ses environs. J’ai finalement eu plus de problème à planifier l’ensemble qu’à le financer. Finalement la saison la plus creuse passe assez vite quand c’est celle que l’on attend impatiemment, curieux renversement.
Il y a dans Off Season, une forme d’errements perceptible entre les différents lieux photographiés. Tu apprécies le travail de Raymond Depardon. Son livre Errance a t il été un ouvrage de référence dans l’approche de cette série?
Il aura forcement été une des influences mais j’avoue avoir bien plus pensé à Stephen Shore qu’à Depardon. A part, peut être, pour la lumière. Je l’ai entendu dire dans un de ses précédents films : « il faut se méfier d’une trop belle lumière ». Cette simple petite phrase aura mine de rien eu beaucoup d’influence dans mes choix. La lumière est particulièrement belle à cette époque de l’année, la tentation de jouer avec aurait pu forte. Mais je ne voulais rien d’intense, que des camaïeux de beiges et de gris, légèrement relevés avec quelques teintes pastels bien typique des lieux visités. Aussi j’ai pour habitude de parler de promenade, mais c’est vrai que le mot errance est peut être plus approprié étant donné que je me laisse quand meme beaucoup porter par l’intuition. Je prépare toujours mes déplacements avec google map et image, mais avec le soucis de toujours garder suffisamment de place à l’inconnu et la surprise. Apres, n’étant pas motorisé, il m’arrive de passer par des endroits que je n’aurais pu prévoir ou détecter.
Au regard de certaines de tes photos, l’urbanisation semble presque s’effacer pour laisser place à un univers silencieux et vide, comme des décors cinématographiques abandonnés. Une sensation accentuée par la quasi absence d’ombre. Tous semblent figer. Dans un état léthargique . Dans ce désert urbain en transition, as tu effectué des rencontres?
Ce travail sur l’ombre a commencé par une précédente série à Coney island. Pour le coup, cette série n’était rien d’autre qu’une promenade mais elle m’aura permis d’amorcer ce travail sur les ombres. En langue indienne Coney island était appelé la terre sans ombres, il parait qu’il n’y a pas de hasard. Pour ce qui est des gens, j’ai longtemps voulu les intégrer dans la série mais uniquement en portraits : un magnétiseur qui m’expliquait n’être qu’un robinet, une femme qui me vantait les chakras de Nicolas Sarkozy et pensait qu’il était un être de lumière, ou encore la reincarnation de l’assassin de henry IV qui souffre encore d’avoir commis un acte à jamais impopulaire. J’ai eu affaire à une faune fascinante et pittoresque mais un peu trop singulière à mon gout. Je ne voulais pas les exposer, autant parce qu’ils n’avaient rien de représentatifs que par sympathie pour eux. De plus, avec le recul, leur absence renforçait le sujet.
« Godard disait que dans tout documentaire il y a une part de fiction et que dans toute fiction il y a une part de documentaire. »
Torpeur est un mot que tu emploies régulièrement pour décrire ta série. Pourquoi ?
Déjà j’aime la sonorité du mot, c’est important la sonorité des mots. Il aurait pu être en balance avec le mot « endormi », mais ces paysages me semblaient bien loin de ces princesses endormies en attente de quelques baisers. Ici nous sommes dans une forme de somnolence plus que de sommeil, un engourdissement et ralentissement des fonctions vitales. J’aurais pu parler d’hibernation, mais c’était faire echo à une certaine normalité. Il n’y a rien de singulier à ce qu’un ours hiberne, alors qu’un bord de mer en torpeur me semble d’une certaine manière bien plus remarquable.
Off Season est ce une série documentaire ?
Ce qui est certain c’est que je ne l’ai pas envisagée tel quel. Ou tout du moins, je n’y ait pas pensé. Après, que je le veuille ou non, je me suis retrouvé à documenter une certaine réalité de ces stations balnéaires. Une réalité distordue par le prisme de mon regard et de mon approche, mais réalité tout de même. Godard disait que dans tout documentaire il y a une part de fiction et que dans toute fiction il y a une part de documentaire. Si nous prenons le cinema et le processus de fabrication du premier film documentaire, Nanouk l’esquimau, nous nous rendons compte à quel point les moyens sont ceux de fiction, le documentaire porte ça en lui depuis toujours. Il me plait d’envisager qu’il en est de même pour la photographie. Ainsi je trouve une certaine noblesse dans le geste de marier fiction et documentaire, j’envisage assez peu leur opposition ou segmentation. Ma dernière série sur les faux paysages de zoos et musées en est surement un bon exemple. Une autre façon de le voir serait de dire qu’au final tout est fiction. Mais je ne suis pas bien certain de saisir ce qu’une telle affirmation impliquerait.
Quel matériel photographique as tu utilisé pour cette série ?
J’ai travaillé en moyen format, avec un Hasselblad 500cm et un dos argentique. Ce n’est surement pas l’appareil photo le plus adapté mais c’est l’outil avec lequel je suis le plus à l’aise. J’aime sa lourdeur qui implique une certaine forme de lenteur, et son regard en contre plongée. Aussi il est important pour moi de ne pouvoir avoir d’autre aperçu de la photo que l’image du dépoli. L’image, ni instantanée, ni oubliée, petit à petit se construit en moi. C’est un développement très lent qui justement me permet de sortir un peu de l’image et de sa pure construction pour me concentrer sur ma connection sensible avec l’environnement.
Quelle chanson choisirait tu pour la bande son de Off Season?
Ce serait quelque chose entre J’ai entendu la mer de Christophe, Le sel de Stranded Horses, et du piano, quelque chose de contemporain, de plus sériel.
5 photobooks que tu apporterais sur une île déserte?
Stephen Shore – uncommon places
Becher – Basic forms of industrial buildings
Jeff Wall – un livre au hasard
Noemie Goudal – the geometrical determination of the sunrise
Et Sébastien Tixier, allanngorpoq… parce que les copains, parce que le talent.
Interview Jerome Lorieau / In Frame
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