Interview Matthieu Marre

BIO

Matthieu Marre est photographe. Il a suivi un cursus universitaire en ethnologie et en anthropologie. Il s’intéresse à l’intime où il espère y déceler une sincérité des choses. Il attend de la photographie un regard décalé des évidences qui nous sont données. C’est un regard amoureux empreint d’une distance. En 2015 il publie L’oublié aux éditions Yellow Now (Liège). En 2016 il intégre le studio Hans Lucas.

A propos de « Dans la dernière danse »

Mathieu Marre realise une série intimiste et sensible sur des moments de vie de famille.


INTERVIEW

« L’appareil m’a permis de m’ancrer, de faire partie des choses tout en demeurant extérieur. Bref, je me sentais à ma place en photographiant. »

Parlons un peu de toi rapidement tu as commencé la photo comment et pourquoi ?
J’avais 21 ans. Je faisais des études de droit qui ne m’intéressaient pas et dans lesquelles je n’arrivais à rien. Je bossais à côté. J’ai décidé de partir en voyage. Une sœur que j’admirais était et est toujours photographe (talentueuse). J’ai pensé que je pourrais faire des photos pendant mon voyage. On a acheté un boîtier ensemble. Et j’ai adoré. Je flottais complètement à cette époque. N’ayant prise sur rien. L’appareil m’a permis de m’ancrer, de faire partie des choses tout en demeurant extérieur. Bref, je me sentais à ma place en photographiant.

Quel est ta première série / premier projet ?
Le premier projet, c’est quand je suis rentré de mon voyage. J’étais revenu avec presque 60 films, après 9 mois de vadrouille. J’avais collé des photos dans un carnet. Je l’ai montré à deux galeries parisiennes sans rien savoir du monde de la photo. J’avais 23 ans. Et il s’est passé presque dix ans avant que je ne remontre quelque chose à quelqu’un. Puis en 2011 j’ai commencé à formaliser L’oublié, c’est-à-dire ce fil sans fin que j’évoquais précédemment. Avant, ça fonctionnait par années de vacances, voyages, des choses dont la cohérence n’existait qu’à travers le moment ou le lieu. Puis j’ai fini par avoir un coup de chance. Lors d’une lecture de portfolio, le lecteur, Emmanuel d’Autreppe des Editions Yellow Now (Liège) m’a proposé un bouquin.

J’aimerai parler de ta série « dernier pas de danse » peux tu me parler de la genèse de cette série ?  Elle donne l’impression de s’être faite de manière instinctive petit a petit ou la narration est venu après comme des mots qu’on assemblent pour raconter une histoire.
J’attache beaucoup d’importance à la spontanéité en ce que je cherche en photo une sorte de mystère dont je n’aurais pas conscience. Une sorte de pré-langage. Je me dis qu’une photo est une idée sans mots, une image mentale brute. Une proto-idée un peu. Avant qu’on se sépare avec ma femme, il y a eu toute une période, relativement longue, où une forme de malaise émergeait d’un non dit. En voyant les photographies a posteriori, j’ai trouvé qu’elles avaient compris avant moi ce qu’il se passait. Et avant que je sache qu’on se séparerait, je l’ai intitulé « Dernier pas de danse ». J’ai procédé comme je fais d’habitude. Je photographie peu, une quinzaine de pellicules par an – enfin ces dernières années –. Puis je regarde ce qu’il y a comme matière et je compose quelque chose. D’habitude, je désire accumuler les photos dans une série. Comme une manière de ne rien sublimer à outrance. De laisser des faiblesses. De permettre au visiteur de se faire une idée du hors-champs.

« Je photographie avec un regard amoureux, mais qui part du principe que ce qu’il saisit ne lui appartiendra jamais ou déjà plus. »

J’aime beaucoup ce sentiment d’intimité que l’on ressent dans tes photos. Cette fenêtre qui s’ouvre dans un univers au travers d’un regard. Que représente pour toi cette intimité ?
J’ai beaucoup de mal à cerner cette intimité et à savoir me placer par rapport à elle. Je sais que je montre des choses intimes, mais au fil du temps les choses glissent. Très rapidement j’ai photographié mes cousins pendant nos baignades et nos vacances de post-ado idylliques. Quand j’ai été amoureux, j’ai photographié mon amoureuse. Et je me demande si un jour je ressentirai la nécessité de me photographier en plein coït. Si cette intimité affichée sur les photos est présente en moi ? Je crois. C’est-à-dire qu’en fait ça me semble presque mécanique. Si je désire percer/dévoiler quelque chose en photographiant un proche, une situation familiale, c’est que je vois quelque chose sans en avoir nécessairement conscience. Sinon ça serait raté. Il n’y aurait pas de relief. Pas d’ambiguïté. Ça serait tout plat. Enfin je crois. En fait je sais pas très bien.

Je photographie avec un regard amoureux, mais qui part du principe que ce qu’il saisit ne lui appartiendra jamais ou déjà plus. C’est une image autonome. Un peu comme un portrait : c’est la personne sans être elle. Lorsqu’on a construit le livre avec Emmanuel d’Autreppe, j’avais un doute sur l’à-propos de certains clichés. Un par exemple où on apparaît nu. Les choses glissent, les limites se brouillent, je ne savais pas vraiment quoi en penser, mais on l’a intégré au livre, parce que. Si j’essaie entre autres choses de me trouver dans les photos que je prends ça n’arrive jamais. Il y a un écart qui les rend nécessairement étrangères.

Au début, très rapidement, j’ai photographié mes cousins pendant nos baignades et nos vacances de post-ado idylliques. Quand j’ai été amoureux, j’ai photographié mon amoureuse. Par la suite ma famille proche. Je photographiais les moments signifiants de ma vie et les gens que j’aimais. Sorte de compulsion contre la solitude et l’oubli. Puis les choses ont glissé vers quelque chose de plus quotidien. Il suffit d’une lumière dans ma cuisine, dans un parc, un bar, une maison où je passe. Comme on le ferait dans l’errance du voyage. Ce qui m’intéresse dans l’intime, c’est le début de vérité qui peut émerger des gens et des choses. Les grandes causes, les idéologies, le masque dont on chausse son visage ne m’intéressent pas, ou peu.

En revanche, voir affleurer chez quelqu’un ou dans un situation une forme de sincérité me ravit. Je n’aime pas les choses lissent, plutôt la morale des films noirs. Un jour, un collègue voiturier m’a dit : « Hé Matthieu, le secret de la vie on le connaît tous. » J’ai été fort impressionné par une telle proclamation. Surtout que c’est un petit peu le genre de questions que je me pose sans avoir de solution. Il n’a rien ajouté, et on ne pouvait pas aller plus loin dans l’analyse. Mais ça revient à dire que tout le monde a les pieds dans la même boue. Et cette boue pour moi c’est l’affect. Et c’est ce qui me touche dans l’existence.

Je suppose que l’on voit ta femme, ta famille si c’est le cas peux-tu me dire comment ca se passe quand un photographe décide de partager ces moments d’intimités ?
Je ne sais pas trop ce que ma famille ou mes amis en pensent. Je crois qu’ils aiment bien. Je ne leur ai jamais demandé l’autorisation d’utiliser leurs images. Et je ne vais pas vers eux en leur demandant : « tu aimes ? ». Ils ne m’en ont jamais parlé non plus – mes sœurs et ma mère m’ont félicité –. Mais ils ont tous voulu le bouquin quand il est sorti. On a plaisanté avec mon ex-femme sur le mode du mac qui se fait du blé sur le corps de sa femme, mais pas plus. Il se trouve qu’elle ne considère pas qu’il s’agisse d’elle sur les photos. Et oui, elle était complice dans la mesure où elle ne m’a jamais dit que je la gonflais, elle a jamais refusé. Ca a toujours été un plaisir de la photographier. Enfin, aujourd’hui c’est possible de montrer des photographies intimes, sexuelles parfois, lues pour l’émotion qu’elles portent.

Quelles sont tes influences ? les photographes qui te donnent envie de faire des photos ?
Depardon. Je l’ai lu, relu, rerelu en préparant mon voyage. Mon itinéraire a même été en parti construit autour de ses propres voyages. Je retiens de lui l’effort de sincérité. La dimension existentielle. J’aime beaucoup sa distance et ce qu’il en dit. Puis après ça, plus grand chose. Je n’ai pas fait d’école. J’ai très peu de culture en art ou en photo. Je crois avoir été influencé par le graphisme de Michel Vanden Eeckhoudt. Je pense très souvent à cette photo d’un poisson tenu au bout d’un hameçon suspendu au-dessus de l’eau d’un lac. C’est un tableau. Après avoir été à la recherche d’une sorte de réel non trahi, je suis de plus en plus attiré par ce genre d’esthétique. Half Life de Michael Ackerman m’a également beaucoup marqué.

Tes 3 photobook qui selon toi sont indispensables ?
Errance de Depardon.
Ask the dust de Lara Gasparotto.
Coupe sombre de Louise Narbo

 


Interview Kalel Koven / In Frame

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